Le Maitre déchu

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En arrivant dans des ruines, un problème de taille se révéla peu à peu. J’avais été gentiment convié ici pour le résoudre, mais résoudre quoi ?… Je ne comprenais pas. Et comme d’habitude, je n’avais ni consignes, ni directives. Par contre, bien vite, il devenait évidemment que j’allais devoir prendre les armes, et pas les petites. Ça allait se corser. Surtout qu’après avoir récupéré un baton magique, j’avais traversé une porte dimensionnelle cachée. Enfin cachée, cachée, c’était vite dit. Les portes ne restaient jamais très longtemps fermées ou dissimulées avec moi. Et ce jeu m’amusait toujours autant. Les portes ne me résistaient pas, voilà tout.

De l’autre côté, au fond d’une pièce à haut plafond, se déroulait une incantation. Des êtres debout comme des piquets s’étaient rassemblés et chantaient des formules. Je n’aimais pas ça, pas du tout.

Ils étaient tous noir, et leur peau n’en était pas vraiment une. C’était plus un revêtement lisse dont certaines lignes émettaient une lumière bleutée comme si le modèle avait des leds intégrés. Ils n’avaient pas non plus de visage à proprement parlé, ils avaient tous cette expression stoïque, comme des statues de pierres.  Une dizaine d’entre eux entouraient deux hommes, ressemblants eux à des humains, avec une peau de chair et un visage vivant.

Inquiète, il était temps de lancer les appels et d’appeler la cavalerie. Oui, je n’allais certainement pas me lancer dans ce truc sans l’appui de la hiérarchie. J’ouvris les bras en grand et une lévitation m’emporta.

– J’appelle Gabriel, GABRIEL ! … MARIE ! Tout ce qui doit être fait aujourd’hui doit être juste ! Je vais avoir besoin de vos appuis !!  Je demande l’appui du chœur angélique !

Ma voix résonna dans tout l’espace, puis mon pied retoucha le sol. Je n’avais toujours aucune idée de comment gérer. Je me rapprochai du groupe, sur la défensive. Un truc pouvait me tomber dessus à tout moment, un truc dont je ne savais nullement la forme, la puissance et l’objectif. Mains prête à agir et babines retroussées, je pénétrai le cercle maudit en ne sachant pas qui était mon ennemi.

– Hey… vous… vous êtes en danger ? demandai-je timidement aux deux hommes… (je me retournai paumes sur l’un des humanoïdes noirs) Vous…. Vous êtes… Vous faites quoi là ?…. Hm… Vous n’êtes pas en danger on dirait… Ils ne bougent pas… Qu’est-ce qu’il se passe ?… Pourquoi ils font une incantation ?… ils vous retiennent prisonniers ?…

L’un des hommes me prit à part. Il me dirigea à travers des couloirs, et m’expliqua vaguement que quelque chose rôdait ici et que je devais m’en charger. Puis au détour d’un mur de pierre, je vis la bête rugir.  Enfin… ce n’était plus une bête à ce niveau-là, c’était une putain de chimère  mi- revêtement noir futuriste avec des leds, mi-alien. Et cette bête manipulait la magie, de la très haute magie. Le monstre lança sa première attaque tandis que je cherchai dans ma mémoire scellée la meilleure manière pour faire face à ce truc.

J’esquivais le premier jeté de crocs et commençai à puiser en moi et à renvoyer des coups par simple pensées.

– MERDE PUTAIN !!! Comment je vais faire !! Et les sorts !! Ma mémoire reste scellée bordel !!!

Je tentais d’accéder à ma magie personnelle, mais les pixels mémoriels ne se débloquaient pas. Je restais avec une mémoire 100% humaine tandis que la bête bougeait comme les aliens, avec la même vitesse et dextérité. La seule chose qui changeait était leur aspect plus robotisé, et au lieu de l’acide comme atout, il lançait des sorts élémentaux puissants. J’oscillais comme je pouvais entre vols, coups éthériques et flèches, mais cela ne l’atteignaient que difficilement. En plus, les couloirs de pierres et ce château de labyrinthe n’aidaient pas vraiment.

– Eto…. Eff… urr….. RAH MERDE MERDE !! C’est quoi déjà ma formule pour le feu !! Putain de mémoire scellée de merde !!! (les coups pleuvaient et s’entrechoquaient en même temps, après l’avoir secoué et mis au sol l’instant d’une seconde, je tendis ma paume dans sa direction) Fe… Ou… OH eh MERDE ! Ca ira sans formule tant pis !! FEU-BOULE !

Mon dragon m’aiderait sûrement de toute manière à faire jaillir le feu. C’était son élément et lui et moi étions liés. J’étais en combat. Il devait être pas loin. Si je faisais appel à son feu, il se manifesterait sûrement. Je pensais à lui et espérais qu’il allait m’aider à maitriser cet élément vu comment j’étais complètement à l’arrache sur ce coup. Une boule de feu jaillit de ma main et cibla le monstre. Mais à ma grande surprise, cela le ranima.

– Oops !! C’est son élément aussi !! Merde !! … GLACE !!

L’effet fut similaire. Il en gagna même des forces.

– Nan mais nan !! et mes autres sorts bordel !! Y sont où quand j’ai besoin !!??…. (la bête rugit et me renvoya des attaques élémentales comme une pluie de colère, puis j’eus une idée.) ah mais… les épées… !

Je me rappelai de mes dernières rencontres avec Mickael et de mon placard à épées. Je me rappelais où je rangeais toutes mes lames accumulées au cours de mes nombreuses vies. Je retournai mon poignet sur un endroit invisible implanté dans mon aura, je jetai l’ordre.

– J’appelle l’épée !! Viens !! Viens tout de suite !! J’ai besoin de tes services !! J’ai besoin de la lame pour ce type d’entités ! S’il te plait, ne me lâche pas maintenant !

La bête passa le pas de la porte et poussa un rugissement à rester geler sur place, seulement, moi, je n’avais pas le temps pour ça. Avant même d’attendre que la lame se matérialise dans mes mains, je fis comme si et y plaçai ma foi. Mes lames ne refusaient jamais mon ordre. Sinon, bah… j’étais dans la merde. Aujourd’hui, je priais simplement pour qu’elles ne soient pas trop capricieuses… Je ne la vis pas entre mes mains, mais tant pis. J’allais devoir faire avec.  Le truc bondit et sans perdre une seconde de plus, je mis mes bras en garde et tranchai en projetant par la pensée la marque aussi fort que possible.

La bête fut touchée et la marque la percuta sur toute la diagonale de son corps. Elle s’effondra lourdement au sol.  La lame apparut enfin dans mes mains, et je souris.

– Ah toi… Te voilà toi ! Alors comme ça, c’est toi qui a répondu à mon appel !! Merci !! … Et que tu es belle !!

Elle n’était pas plus grande que 50cm et d’un gris mat intense. Par contre, elle était plate, et plus large que la moyenne, presque 6-7 cm, sans garde de protection. Une simple lame sombre, et belle comme j’aimais. Très maniable de surcroit.

– Allez, on y va, lui dis-je en me replaçant en garde et en faisant sortir ma vision pour sonder la pièce devant nous.

Après un coup d’œil furtif qui me permit d’en voir 9 ou 10 de plus un peu partout du sol au plafond, je me revins dans mon corps, encore dans le couloir.

– Bon… Il va me falloir beaucoup plus de force… Il me faut plus de sauce là !! gueulai-je en alertant mes guides. Il me faut la sauce !! Allez quoi !!  Chargez-moi bordel !!!

Je perdis à moitié conscience et eus la sensation de chuter. Allongée, mes pieds se chargèrent, la pression augmenta. J’avais la sensation d’être dans un tunnel tout en étant un chargeur branché à un courant électrique. Je savais ce qu’il allait se passer. Lorsque la charge serait finie, j’aurai pile poil le volume pour gérer ce qui m’attendait.

– Plus…. plus vite… Plus… il m’en faut plus…. Hn….. Nhhhg…..

Le haut de mon corps s’activa, et le canal s’ouvrait par le bas tout en faisant remonter les flux nécessaires.

– Allez…. C’est pas assez…. Rien à foutre…. Le père !! J’appelle le Père !!

Ma conscience reprit soudainement pieds dans la dimension et je me redressai d’un coup. Maintenant. Je n’avais assez que pour un coup. Un seul. Je devais en buter 10  en un seul shot. Cam… canalise. Concentre-toi, et lâche tout, pensai-je yeux étrécis prête à me jeter dans l’antre du loup, Un coup, c’est possible, vise bien et clarifie la pensée, tu n’es pas énervée, tu n’es pas en mode furie, mais tu peux le faire. Un coup, un seul.

Sans réfléchir davantage, j’armai ma lame et passai à l’offensive. Je synchronisai la moindre parcelle de mon être pour qu’à la micro seconde où je passerai mon buste sous le portique, la lame exploserait sur l’ensemble des corps éparpillés. Et ce fut le cas. A peine mon bassin se retrouva-t-il libre de ses mouvements, grâce à l’impulsion prise sur le sol et un violent retourné de lame, je fis exploser les coups sur chacune des signatures que j’avais repérées plus tôt. Mon cri fut court et précis, comme un service de balle de match de Roland Garros.

Chaque coup porté fit décrocher du plafond ceux qui s’y était accrochée, et tous s’écroulèrent au sol avant de disparaitre dans l’éther. Un seul resta effondré sans disparaitre. Celui, le premier que j’avais marqué de ma lame. Un des hommes me rejoignit, soulagé tandis que je le regardais fatiguée. J’avais faim. J’étais épuisée et à court énergétiquement. Ce truc m’avait coûté cher.

-Heum…. Hm….

– Merci, dit-il. Tout est terminé.

– Mais… Hm…. Ok. Mais vous êtes quoi ?…

– Moi ?… Je suis un prince.

– Un prince ok, mais d’où ? De quoi ?…. J’veux dire, vous êtes quoi comme essence ?…

Il me regarda, à moitié dépitée.

– Cela ne vaut même pas la peine de te le dire. Mon peuple ne vaut rien. Ce ne sont que des niais qui n’agissent pas. Tous autant qu’ils sont. Nous sommes des princes de rien. Ils restent là, tous mous, à ne jamais prendre de décisions. Ne retiens pas notre nom. Ne prends pas cette peine.

Il m’envoya par télépathie l’image qu’il avait de son peuple. Soit.

– Mais… (je regardai furtivement la bête écroulée au sol). Et lui ?

– Ne t’en préoccupe pas. Mon peuple va prendre le relais. Nous allons nous charger de lui.

– Mais c’est qui ?

– C’est un Maitre.

– Un Maitre ?….

– Oui, et c’est déjà incroyable que tu aies pu le marquer… On n’y croyait pas. On pensait que tu n’y arriverais pas, que tu n’aurais la puissance pour l’atteindre. C’est vraiment quelque chose que toi tu aies réussi à l’atteindre, ne serait-ce que d’arriver à le toucher…

– Hm. Bah faut croire que ce n’était pas si difficile que ça. Vous ne l’achevez pas ?

– Non. On va l’enfermer pour l’interroger. On va gérer cela à notre manière.

– Vous ne craignez pas qu’il vous attaque ? Parce que bon… Je ne l’ai pas achevé.

– Tu l’as marqué avec ta lame. C’est facile pour nous d’activer la trace que tu as laissée jusqu’à la faire brûler, et il mourra et se dissoudra dans l’Un. Il rejoindra les autres.

– Hm…

– Tu peux t’en aller maintenant.

Mes yeux s’étrécirent. Et mon paiement ?… Il croit que je bosse gratos ou quoi ? Il croit qu’on me dérange depuis mon monde et mes journées d’humaines tranquilles comme ça ? Pour rien ?… Puisque c’est comme ça… je ressortis mon sourire le plus intéressé qui soit et me tournai vers le monstre.  Si on ne me donne pas de paiement, je prends mon paiement.

– Lui. Ce sera lui. Je prends lui, fis-je en le pointant du doigt.

Paume vers la bête, je matérialisai une chaine et lui jetai un collier magique à la vitesse de l’éclair. Elle se transforma aussitôt en une forme humaine épuisé, qui ne se releva que parce que le collier se referma sur sa nuque et que je tirai soudainement sur la chaine. Sa forme humaine était belle, fine et élancée, et son regard, il y eut quelque chose dans son regard qui me fit comprendre pourquoi les anges ne m’avaient pas donné plus de puissance pour l’achever d’une traite.

– YOU. ARE. MINE. fis-je sur un ton qui ne laissa aucune place à la discussion. You will be the payment, you understand ?

Je ne veux pas qu’il lui arrive quelque chose… Il ne doit rien lui arriver… Je veux le marquer. Je le veux. Ma mémoire se débloqua et d’un coup, je me rappelais du sort qui allait de pair et le prononçai immédiatement. Aussitôt dit, deux marques apparurent douloureusement sur son encolure comme s’il avait été légèrement brûlé au fer. Je souris et tirai davantage la chaine jusqu’à me retrouver nez à nez et effleurer ses lèvres.

– Je te marque, c’est clair ?

– Ngh…. (il se raccrocha difficilement au collier comme pour tenter de soulager la pression qui l’étranglait légèrement)

– Tu m’appartiens. Ta vie entière m’appartient. (Je reniflai sensuellement son odeur). Eh… Hm… Ta magie…. Qu’est-ce que tu sens bon…Tu as une odeur d’abricot….(je lui envoyai l’image d’un abricotier sur Terre)… Ta magie est si belle… Et j’ai si faim… j’aimerai tant te goûter… Hm…. (je repensai à ma flamme, et tentai de me retenir) Tsk… Tu es à moi maintenant. Où que tu sois, ne pense même pas à t’échapper, je te retrouverai  et ce, dans n’importe quel monde. Tu comprends ? Quoi qu’il t’arrive, je le saurai. Peu importe qu’ils t’enferment, je traverserai n’importe quelle porte, n’importe quel verrou. Et ils ne te pourront pas te tuer, je ne le permettrais pas. On ne touche pas ce qui m’appartient. Ne l’oublie pas. Tu es à moi.

Je le vis soumis et il s’écroula au sol. Je ne savais pas si je devais rire ou pleurer de voir une aussi belle puissance réduite à ce degré de soumission. Dans tous les cas, je ne serai pas lésée, mais je n’étais pas mauvaise pour autant. En réalité, j’avais de grands projets en tête et rares étaient les entités auxquelles je souhaitais m’accrocher dans l’astral. Notre altercation avait eu un coût. Ses actions avaient des conséquences. Et il allait devoir comprendre que je ne le laisserai pas filer sans récupérer d’une manière ou d’une autre, un retour sur investissement. Mais je devais bien admettre, que tout allait dépendre de son code d’honneur, de sa résistance au changement, et de ma manière de gérer mes propres humeurs et pulsions. Oui, j’aimais beaucoup sa force et sa magie, et J’allais devoir la jouer fine si je voulais qu’il fasse partie de mon équipe et de mes alliances.

Je me retournai vers celui qui m’avait accompagné tout au long de ce combat. Mon manque énergétique et l’odeur d’abricot m’ayant plus qu’aguichés, j’attrapai ardemment l’homme devant moi, mais fus aussitôt déçue.

– Hm…. Tu ne sens rien…. Ta magie… Tu es faible. Je comprends mieux pourquoi je l’ai choisi lui, pourquoi je ne veux pas le perdre. Mais toi… Tu me sers à rien. Pff… J’ai faim et j’ai rien à me mettre sous la dent… Pf.

Il prit un air gêné et je le toisai en le repoussant sur le côté.

J’ouvris peu après les yeux et souris. Oui, j’avais de grands projets. La partie ne faisait que commencer entre le Maitre et moi et ça promettait de chambouler un peu mes plans. Mais soit. Cela faisait des mois que quelque chose n’avait pas allumé ne serait-ce que l’ombre d’une quelconque envie astrale.

Il y a bien des entités dont je me passerai de m’encombrer et qui me piaillent constamment dans les oreilles. Par contre, rares sont celles qui savent susciter en moi un tel intérêt. Et en général, pour ça, mes instincts ne me trahissent jamais. Il a quelque chose et je compte bien découvrir quoi.

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