Avertissement : Certains passages peuvent être crus et la lecture peut déranger les âmes sensibles.
PART.1.
Accompagner les morts la nuit en rêve lucide est une chose, mais les accompagner depuis le vivant en est une autre.
Dans l’astral, rien n’était choquant. Voir des cadavres animés de sombre grogner, écouter des défunts plein de regrets se lamenter, accompagner des morts qui souhaitent continuer d’assister le monde des vivants depuis là où ils sont, ou encore voir des morts ne pas savoir qu’ils sont morts… il y a aussi ceux qui sont morts, mais qui se retrouvent attaqués et chassés pour leurs énergies… et encore tant d’autres de cas possibles. Le monde des morts et des défunts est animé de tellement de vie de l’autre côté. Depuis ici, on ne se rend pas compte à quel point.
Nombreux sont ceux qui pensent que c’est la fin quand on meurt sur terre, mais depuis l’au-delà, rien ne s’arrête jamais. Tout un univers continue d’être en marche.
Depuis ce monde, les défunts ne parlent pas, voilà ce que je me suis dit en les voyant se faire prendre en charge par une thanatopracteure. « Ils ne vont pas s’asseoir au bout de leur brancard et me parler ce qu’ils regrettent, ni de la peur qu’ils ont de quitter ce monde. Ils ne vont pas me supplier, ou pleurer. Ils ne vont pas m’attaquer non plus parce que je vais les inviter à quitter l’entre-deux. »
Je regardais cette machine qu’était le corps humain, là, étendu, inerte. On réalisait rapidement que c’était l’esprit qui donnait vie à la matière et non l’inverse. L’absence de l’esprit, et le corps se décomposait. Peut-être que la « mal a dit » pointait un endroit de nos cellules dans laquelle notre Esprit ne le prenait plus en charge correctement.
Les films nous habituaient à la vue de la mort, à la vue des morts, et du sang, à la vue de l’horreur et du chaos. Ils rendaient la mort normale et habituelle dans l’inconscient collectif. On la côtoyait tous les jours à la télévision, en « fiction ». Et quand il s’agissait de la voir en vraie, tout devait se faire caché. Un peu comme si nous cachions la réalité des choses car jugé trop dérangeante.
Certes, la mort n’a rien de beau en soi, mais ce qui est incroyable, c’est la vie qui s’agite autour d’elle pour la rendre belle, pour la transcender, et faire en sorte que le vivant puisse à son tour, la transcender.
Le travail des thanatopracteurs est de faire ce qui est appelé dans la profession, « un soin ».
Cette pratique m’a fait penser à un rituel appartenant à la famille des guérisseurs. Redonner au corps son aspect digne et présentable et aider le passage de l’âme qui reste attaché à son corps après sa mort (pour certains cas). On ne se rend pas compte à quel point, mais quand on voit le corps avant et après, on comprend l’impact d’une telle pratique.
C’est un ballet qui dure une heure pour les cas les plus basiques dans lequel le thanatopracteur rentre sur scène et donne à la pièce une chorégraphie scintillante de lumière et d’énergies. On pourrait croire que ces personnes qui travaillent dans l’ombre sont morbides, mais quand on les regarde parler au défunt et les manipuler, on ne peut que respecter davantage encore leur travail. Si la scène est triste en soi, on remercie sincèrement ces gens qui regardent la mort en face et la rendent belle. Car c’est cela dont il s’agit. Rendre un corps beau et digne, en dépit de son passé, de son histoire et de la raison pour laquelle il se retrouve là, allongé et sans vie.
Il faut avoir de la force pour gérer des défunts tous les jours, toute au long de l’année, et ainsi, voir inlassablement les résultats de la vie qui a impacté un corps. Car c’est la seule chose que le thanato voit sous les yeux.
Des peaux jaunies, grisées, parfois même verdies, tirés, meurtries, des organes parfois trahis par un cancer qui les ont rendus durs comme de la pierre, ou alors, la simple gravité de la Terre qui tire la peau et la flétrit sur le brancard. Excepté pour la couleur, le dos ressemble a une magnifique coulée de lave volcanique, graphique et belle quelque part. Les formes se plissent dues à l’enveloppe plastique dans laquelle il est conservé… Si on ne l’appelait pas cela la mort, nous y verrions des changements de couleurs, de formes et d’odeurs. Une matière qui se décompose en un ensemble encore « vivant ». La mort est là, mais de la vie finit encore de s’éteindre doucement, et ce rituel ne permet que de faire ralentir le temps afin que la Famille puisse lui dire un dernier Au revoir.
Nous comprenons la mort car nous y percevons l’absence de lumière que nous considérons d’ailleurs comme absence de vie. Parce que notre société dissocie la vie de la mort.
Je n’aime pas la mort en soi, mais je ne vais pas la rendre morbide pour autant. Quand j’étais petite, je m’imaginais régulièrement la mort de mes proches. Je me demandais ce que cela ferait de mourir et quels étaient les impacts d’un membre particulier en moins sur moi, et sur le reste de la famille. Qu’est-ce que cela changeait, et quels sentiments cela provoquait en moi. J’ai commencé quand j’avais 7 ou 8 ans à imaginer nombres de scénarios possibles. Je n’avais pas la sensation de morbidité déjà à l’époque tout simplement parce que pour moi, la mort était un aspect à prendre en considération dans mon évolution, et je voulais y être préparée. Je n’étais pas comme ma mère qui refusait de penser à la mort par peur de trop souffrir. Il s’agissait pour moi d’un simple facteur à prendre en compte. Tout comme ma propre mort était à prendre en compte, car qui sait ce qui pouvait arriver demain.
Je n’ai jamais pensé que l’idée de la mort nous empêchait de vivre, bien au contraire. La mort entretenait la vie et inversement.
Ce qui est délicat, est lorsque nous sommes enfants et que nous avons d’ores et déjà une vision différente du monde. Nous ne pouvons pas en parler autour de nous, parce que très vite, nous sommes catalogués comme instables émotionnellement ou comme « enfants à problèmes psychiques ou psychiatriques ». Alors on se tait et on évolue dans son esprit avec soi-même et ses propres pensées.
Il y a un réel tabou au sujet de la mort, et d’accompagner un thanato pendant une journée a été rafraîchissant pour moi. Parce que justement, rien n’était tabou. Elle était là sous nos yeux, et pourtant, tout semblait normal. J’avais autant le droit de compatir pour le défunt, que d’admirer la couleur du formol redonner un semblant de vitalité à une peau pâle. Le pourquoi du comment… un mélange étrange de science et d’art qui fusionnent pour atteindre la parole ultime qui est murmurée dans la morgue :
« Il/ Elle a l’air paisible. »
Permettre aux autres de voir un semblant de paix dans l’adversité de la vie, cela ne rendait pas le deuil facile pour autant, toutefois, c’était aussi des promesses inconscientes que l’âme pouvait rejoindre l’au-delà dignement. Parce que la vie devait d’être honorée, surtout à sa toute fin.
Tandis que le rite prenait fin, je ne pouvais m’empêcher de me demander si les gens prenaient également soin d’honorer les défunts de leurs vivants. L’être humain était fort pour prendre conscience du précieux une fois le précieux ne faisant plus partie de sa vie. Un peu comme nous traitions la Terre et les êtres humains. Nous considérons la vie comme précieuse, et nous vendons pour des milliards d’armes de destruction massive. La mort était davantage un business faisant tourner les Economies plutôt qu’une triste fin en soi.
En voyant les morts, je me demandais quand nous allions commencer à traiter la vie avec humilité et honneurs. Où était notre soin à nous envers la vie ?
Du formol dans les artères comme nos produits chimiques dans nos terres, une canule dans le coeur qui aspirent tout le sang comme ces entreprises qui siphonent notre eau potable, les gaz toxiques qui s’échappent du ventre en début de putréfaction comme notre Air que nous pourrissons… Traitions-nous la Nature et la Terre comme un corps sans vie que nous tentions de rendre beau envers et contre tout ? Ne comprenions-nous donc pas la Terre était un être vivant ?
Je m’interroge, et en même temps, je garde espoir. Quand nous commençons à respecter nos morts, nous commençons à respecter nos vivants.
J’aime à croire qu’un jour, notre société considérera l’être humain comme plus précieux et plus important qu’une société se nourrissant de la décomposition de nos morts.
J’aime à croire qu’un jour, nous respecterons chaque être humain pour la beauté et la Force de l’Esprit à mouvoir dans un corps. Parce qu’incarner un corps, le faire vivre, et grandir sur Terre, n’est-ce pas là une belle preuve de magie infinie ?…
C’est en voyant cette absence de magie que je me suis rendue compte de l’impact de sa présence. Voir un corps sans son sang, des yeux voilés, des membres rigidifiés qui malgré une certaine gymnastique tissulaire ne bougeaient plus d’eux-même. L’absence de vie fait peur, et pourtant, quand elle est là, la respectons-nous pour autant ?
Bonsoir,
C’est avec beaucoup d’attention que j’ai lu et entendu ton message.
Notre société a un tel déni de la mort, qui pourtant fait partie de la vie!
Merci à toi, bonne soirée.
Bises
Salut Camille,
Je trouve ce texte beau et touchant.
Il n’est pas toujours facile pour moi d’accompagner les âmes à passer, mais cela m’aide aussi à être consciente de la beauté de la vie.
Cela aussi m’a donné une autre vision dela mort, depuis l’adolescence, qui comme tu le racontes si bien, est parfois difficile à partager dans notre société qui entretient le tabou sur la mort. Alors que les séries télés la montrent à tout va, je n’avais jamais saisi l’ampleur de cette dichotomie. Merci de l’avoir souligné.
Bises