Les yeux qui créent

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Je me souviens particulièrement de cette nuit-là, ce jour où je me baladais dans des mondes avec un objectif précis à faire, rencontré quelques bestioles chelous et dragons bizarres dans des grottes immenses pour un je-ne-sais-plus-quoi, et puis tout a changé, j’ai rejoint des guides sur un bateau.

Nous étions en transition. L’un d’eux voulait m’aider à me libérer de mes énergies sexuelles excessives mais cela me troubla quelque peu. Je savais avec qui j’avais envie de les libérer alors le fait de ne pas savoir qui était ce guide, cela me mit un peu sur la réserve. Disons que j’ai pris bien soin de ne pas lâcher ma femme sauvage… La petite sauvageonne. Non, celle là, je la réservais pour chouchou chéri. Y’a pas écrit multipass sur mon front. Même si mes guides sont mignons. Hen-hen. Je n’crois pas non.

Voyant que je n’irais pas plus loin malgré mes ardeurs qui ne rataient pas une seconde de me le rappeler, ce guide prit la tangente pour me laisser respirer tranquille et ne pas me mettre plus mal à l’aise que je ne l’étais déjà. Il repartit vaquer à ses occupations qui apparemment ne cessaient jamais de le préoccuper. Il semblait qu’il y avait toujours quelque chose à faire ici, à droite à gauche. Toujours des choses à devoir gérer. Peut-être était-il le capitaine du bateau qui m’avait accueillie pour me permettre de m’y reposer.

Je découvris avec amusement que l’intérieur de la cale du bateau s’était transformé en une immense pièce, aux plafonds énormes, comme si nous étions dans l’antre d’une grotte. La décoration était assez victorienne, des vêtements aux linges riches, soie, velours… Et oh ! Qui avait-il là ? Une télé ? Comment une vieille télé pouvait se trouver là ?

Je trouvais ça amusant. Je regardais ce qui défilait tandis que le guide restait occupée sur le ponton arrière. Il avait fait exprès de se charger des lignes, chaines et autres câbles, de là où il pouvait garder un oeil sur moi.

Il me vit perdre les yeux dans la télé, comme à chaque fois que je fixais trop intensément quelque chose, mon corps changeait d’attitude. Ma vision entrait dans un processus étrange. Une transe m’envahit malgré moi. Puis ma poitrine fit un bond sec, tel un à-coup lançant un enclenchement de quelques chose. Mon guide plissa les yeux, m’examinant quelques longues secondes trouvant cela bizarre, mais retourna à ses enroulages de câbles, voyant que j’allais bien.

Quelque part, au fin fond de moi, cette sensation m’annonçait une manifestation énergétique, comme les fois où je l’avais enclenché pour des manipulations en sortie de corps un peu sans le vouloir. Mais là, je n’arrivais pas à réfléchir, les images accaparaient toute mon attention. Mon corps était bizarre.

Rien n’était comme avant. Les images de la petite série s’étaient modulées doucement, comme une danse en transe jusqu’à ce que l’image se définisse avec une netteté absolue. Et tout m’avait absorbée.

Obnubilée par l’écran, une situation apparut. Une silhouette mourant dans l’eau, près d’une cale d’un bateau. Elle gisait là, flottant à la surface comme un corps mort. Ca m’intrigua, non sans un certain amusement. Puis un coup d’oeil vers l’entrée de la pièce et je réalisais que je me rappelais que j’étais sur un bateau. Un bruit de Plouf m’atteignait sortie de la vision, j’écarquillais les yeux avec horreur.

Mon guide n’était plus là, celui là qui était resté à travailler sur le pont arrière, il avait sauté dans l’eau. Dans l’eau. Comme le corps qui gisait mort. Peut-être avais-je vu une situation qui allait se passer…

Je courus aussi vite que je pus. Peut-être avait-il glissé en se cognant. Peut-être était-il mort. Comme l’autre. Alors que j’allais pour lui porter secours, je découvris avec stupeur que lui allait bien. Il s’amusait tranquillement dans l’eau rafraichissante alors quand il me vit arrivée sur lui comme une furie, il me regarda avec légèreté.

– « Heu ? … Qu’est-ce qu’il se passe ? »

– … Sors !!! Sors tout de suite de l’eau !! Reviens, dépêche-toi !! Ne pose pas de question !!

– « Heu… ?… Pourquoi ?… Que… Mais non, ca fait du bien, regarde, l’eau est bonne ! Tout va bien ! « 

– Non ça va pas !! Ca va pas du tout !! Ca va arriver, tout va arriver !! Remonte !! Remonte tout de suite sur le bateau !!

– « T’inquiète… tout va bien… Regarde, l’eau est bonne, j’en profite juste un peu, il n’y a aucun risque. »

Un grondement sourd se manifesta dans toute la dimension, le bateau se mit à trembler et se retourna avec une violence secousse qui nous engouffra de dos. Mon corps s’explosa dans les profondeurs avec la chute. Les mâts, les voiles, tout était retourné sans dessus dessous. Je fis un gros effort pour remonter à la surface et reprendre de l’air.  On vérifia que les uns les autres étaient encore vivants et on s’attela à la tâche.

– Il faut remettre le bateau, hurlai-je. Il faut retourner la cale ! Allez !!

J’étais juste soulagée que tout le monde aille bien, alors retourner le bateau n’était qu’un détail pour moi. Ne me demandez pas comme ce fut possible, mais on le fit, aussi improbable qu’illogique. Avec quelques personnes bien placées, quelques mouvements d’associations de forces, le bateau se remit stable sur l’eau. Tout le monde se retrouva dessus, sauf moi, qui sous la force de la contre-balance fut à nouveau propulsée violemment vers le fond.

Déjà que je n’avais plus beaucoup de force, mais là, la manipulation m’avait achevée. Alors que les autres reprenaient leur place, moi, je gisais là, à errer dans l’eau, je n’avais plus d’air et plus de force. Les yeux ouverts, le courant me portait.

Ironique. Je réalisais que la personne morte que j’avais vu à la télé, était en fait moi. Je croyais avoir vu une vision prophétique et pouvoir aider à la déjouer, en fait, j’avais vu ma mort et en la voyant, je l’avais créée. Quelle ironie de la vie.

Tout ça, était de ma faute. J’avais créé tout ça. Comment ? Pourquoi ? Je n’avais pas fait exprès. Je n’avais simplement fait que regarder ce qui défilait sous mes yeux. Et me voilà là. Qu’attendait-il pour se jeter à l’eau et me récupérer ? Mon corps remontait doucement mais j’étais incapable de bouger. Je les voyais depuis le ponton d’abord rempli d’espoir.

– Elle est là ! Faut… Faut faire quelque chose…

Allo ?!! Evidemment, faut faire quelqu’chose, bouge ton cul. Plonge et viens me récupérer. J’ai p’u de force.

–  Mais elle… ne bouge plus… Elle… elle est….

Roh… sérieux… ? Si je ne bouge pas tu vas me laisser vraiment crever ici ?… Qu’est-ce qui faut pas faire, j’vous jure… 

Alors que je les vis commencer à se détourner du ponton, l’air hésitant et que je voyais déjà la fin de l’histoire, je fis un effort pour bouger les bras. Si je ne leur montrais pas qu’il me reste un soupçon de présence, ces cons-là, ils seraient capables de se barrer en me laissant là ? Je n’allais pas tenter le diable. C’était pas grand chose, mais fallait pas me demander plus. Allez, quoi, percutez un peu, merde !

L’un deux pointa le doigt.

– Oh !! Elle est encore en vie ! Elle bouge, elle bouge !! Récupérons-la vite !!

Ah merci. Trop sympa les gars…Tsk. 

Ils plongèrent dans l’eau et remontèrent un corps inerte. Je gisais là vidée de toute force, les yeux perdus, l’eau s’écoulant de par en par. Les autres essayaient d’encaisser tant bien que mal tout l’évènement. Il m’avait rentrée et allongée au sol de l’immense pièce centrale. Je respirais mal, je voyais mal. Et puis, je ne contrôlais plus rien. J’étais fatiguée, et encore à demi comateuse. Même bouger les yeux me demandait de l’énergie que je n’avais pas. Du coup, je regardais le plafond. Le joli plafond… le très joli plafond… et ces traits qui se mirent à osciller de magie…

Mes yeux se plissèrent.

Tout commença à me captiver et je me laissais glisser. Encore. C’était joli. Ma poitrine fit un nouveau bond intérieur qui me donna l’air d’avoir le hoquet. Le petit bruit significatif interpella mon guide à la prestance d’un capitaine, qui était concentré sur l’évaluation des dégâts de l’arrière pont. Il l’avait reconnu en un quart de seconde car c’était le même qu’il avait perçu, lorsque tout à l’heure, je regardai la télévision. Il comprit qu’un schéma comportemental se reproduisait et fit tous les liens. D’abord le mode « scotch », après le tic, vint la transe, la vision et pour finir, la catastrophe qui en découlait. Chaque vision avait une conséquence tout aussi violente que celle à laquelle nous venions de faire face.

– « Oh non pas ça, pas encore ?!!…  Merde, merde !! Ca recommence !! Ca recommence ! »  , cria-t-il en assistant à ma dérive, en suivant mon regard perdu river jusqu’au plafond.

Il était trop loin de moi, les mains chargés de matériel, il n’aurait pas le temps d’arriver jusqu’à moi et d’empêcher la réaction en chaine. Quant à moi, peu importe ce qui traversait mes oreilles, ce plafond… ce plafond était si…. spécial… si joli… si bizarre à bouger comme ça… les traits, les traits prenaient vie comme ça, comme par magie. C’était… envoutant… captivant… bizarre… intriguant… Tout devenait si fluide… si naturel… Je ne faisais rien de spécial, c’est comme si c’était le plafond qui me parlait, qui me montrait quelque chose.

– « Ses yeux !!!… Arrête-là, ARRÊTE-LA BON SANG !! » ordonna-t-il à une tierce personne sans perdre une seconde. « Fais lui fermer ses yeux !! Grouille-toi !!! Ferme-lui ses yeux !! Ferme-les lui vite avant qu’il soit trop tard !!  Elle va enclen…. »

Un jeune garçon déboula d’une pièce annexe comme si sa vie était comptée. Il se rua sur moi avec la dextérité d’un chat glissant sur le parquet. Il jeta sa main sur la moitié de mon visage pour m’obstruer la vue. Je sentis sa passion, sa douceur, son amour, et tout devint subitement noir.

Il s’écroula au sol, me releva la nuque et m’enveloppa de tout son buste pour me cacher du moindre centimètre de plafond qui pouvait se refléter sur la plus minuscule parcelle de mon visage.

Seule cette voix paniquée résonnait comme une musique lointaine et pourtant si présente, comme un écho qui me ramenait depuis l’au-delà.

–  « N…o..n…  Non-non -non !! Arrête, arrête, Pitié […], arrête ça ! … Garde-les fermés, garde-les fermés je t’en supplie, ne les rouvre pas… s’il te plait-s’il te plait… ne les rouvre pas », s’écria-t-il d’une voix tremblotante et dépitée. « Je veux pas que…. S’il te plait…reviens…  r..es..te… av.. moi… ne vois pas… pas besoin de savoir… pour vivre… pour être… fais sans… tu peux… Sans, ça ira très bien, tu verras… tu vivras longtemps et tu verras… veux pas qu’il t’arrive… S’il te plait…, murmura-t-il sans jamais cesser de me bercer nerveusement.

Chaud… Voix….si chaude… son amour… chaud… il… me… réchauffe… Il…  je… Hum… C’est si bon… je connais cette chaleur diffuse… Je …. Il… c’est…. réchauffe le coeur… Il….

– « Reste ici. Reviens, allez, reviens… là avec moi… »

Les yeux verrouillés et la tête bloquée contre son torse, ma joue se releva en demi sourire. Ce truc dans ses énergies, si unique, qui était capable de m’interpeller, même à des années lumières. Parce qu’à chaque fois que je ressentais cette chaleur, j’y retrouvai la Paix. Une paix tellement chaude, douce et aimante, tellement profonde, qu’il m’était physiquement et psychiquement impossible de m’en éloigner. Son énergie si caractéristique que lui seul pouvait me faire ressentir. Pour lui… Avec lui… Juste pour encore sentir cette chaleur… Ici…

Un  battement de cils plus tard, et j’étais assise sur le lit avec lui en face de moi, il me faisait une blague. Il faisait des mimes pour me faire rire, ce qui marchait super bien.

– Arrête, je lui dis en pouffant, totalement amusée par ses pitreries. T’es con !! haha

Il me regarda, interloqué et un peu choqué par l’expression.

– « Ah ! Bah ça, c’est nouveau… ?! » (du genre, tu me l’avais jamais faite celle-là avant).

Ca me surprit un peu, se sentait-il blessé par ce mot là alors que cela n’avait pas un mauvais fond ? C’était vulgaire certes, mais pas à prendre au premier degré. Je rouvris les yeux dans mon lit sans avoir pu gérer mon élan de surprise intérieure. Peu importe. J’étais encore enveloppée par son amour, même au réveil.

Quoi dire, quoi penser ?… A différents niveaux… je… hum… peu importe. J’ai besoin de lui. De son amour… peu importe le monde dans lequel je me situe. Peu importe le temps dans lequel je suis. Cette chaleur est ma lumière.

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