L’organisation et mise en place d’un rêve

Cela faisait presque deux heures que j’étais embourbée dans un rêve sans queue ni tête. Je ne comprenais rien, les personnages n’avaient pas de sens, les thèmes abordés non plus. Rien ne collait et l’ensemble donnait l’impression d’être au cœur d’un message plus qu’indécodable. Lorsque je vis enfin les dernières pages d’un livre se refermer, des paroles remontèrent dans ma tête.

– On est arrivé au bout du message, dit la voix.

– C’est terminé, m’exclamai-je aussitôt, j’ai rien compris, on arrête là ! J’en peux plus de tourner en rond ! Rien n’a de sens. Ça suffit !

Un bruit de claquement de doigts résonna, puis un nouveau décor se modula instantément. Tous les personnages que j’avais croisé tantôt, reprirent leurs apparences originelles. Au final, l’espace fut inondé d’une trentaine de personnes qui se tournèrent dans ma direction, attendant de nouvelles directives. Une femme se rapprocha.

– J’ai rien compris, grommelai-je.

– Ah, on ne sait plus quoi faire pour te faire comprendre, on a tout essayé ! Bon, éh bien, si tu n’as toujours pas compris, on y retourne !

Elle claqua ses doigts et tout le paysage se transforma à nouveau. Les entités reprirent chacun leur rôle et leur apparait. C’était comme passer d’un regroupement banal à une scène de film dans laquelle je me retrouvais soudainement projetée.

– Ah non, ça suffit ! Il est hors de question que je recommence à tourner en rond ! Arrêtez ça tout de suite.

La femme se matérialisa, balaya sa main et la mise en scène s’évapora. On revint tous au point de départ.

– Mais il faut bien que tu comprennes le message, enchaina-t-elle, Si tu ne le comprends pas, il faut bien que le message passe !

– Ça suffit, vous avez eu votre chance, et ça n’a rien donné. Vous êtes nuls en communication ! Vous voyez bien que votre système d’approche ne fonctionne pas, vu que je ne comprends toujours pas malgré toutes vos tentatives ! Il n’y a aucun résultat. Ca ne donne rien. On arrête là. Maintenant, on va le faire à ma manière.

Je tournai les talons et rejoignis la foule tandis que la femme galopa pour suivre la cadence.

– Bon, vous allez me donner des indices sur le mur, là.

– Mais, mais, commença-t-elle.

– Ecoute, ça va, je ne te demande pas de me dire le problème vu que tu n’as pas le droit. J’ai bien compris que je devais faire en sorte de percuter de moi-même, mais aidez-moi au moins. Soyez plus clairs. On va tout simplifier. Au plus simple, d’accord ? Donne-moi des indices que je peux comprendre, et tu vas me les projeter là. Mais simples, les indices ! Si vous voulez que je comprenne, il va falloir s’ajuster à mon niveau de conscience en fonction de ce qui me parle. Avec mes codes à moi, sinon on va pas s’en sortir. Laissez tomber vos codifications et utilisez les codes de ma conscience humaine.

– Ok, ok, on va faire ça. C’est parti !

Ses doigts claquèrent encore et les images se dessinèrent comme par enchantement sur la paroi désignée. 5 images, dessinées comme des illustrations miniatures. On y voyait un bonhomme entrain de manger sur 2 images, et sur les 3 dernières, il tenait une boisson à paille dans la main.

– La vache !! Et c’était quoi le rapport entre ces images et le rêve d’avant ??! Tu m’étonnes, je ne comprenais rien, ça n’a aucun rapport !! Nan mais quels codes vous avez utilisés pour créer ce fichu rêve improbable ?… Bon alors attends, que je réflechisse… ca concerne mon alimentation ? Je mange trop ? Pourtant, ce n’est pas énorme ce que je bouffe dans la journée… et boire ? Je bois que de l’eau, tout le temps oui, mais j’ai souvent soif, mais je bois beaucoup et tout le temps. Pourquoi la boisson est un problème ? C’est de l’eau pourtant…

Un homme présent s’impatienta, me voyant toujours pas comprendre.

– Son estomac fonctionne sans arrêt ! Elle n’a jamais de repos, il est tout le temps sollicité, à peine s’arrête-t-il enfin qu’il doit repartir aussitôt !

Je réfléchis de longues secondes, mais ne savais toujours pas comment faire pour trouver une solution à ça.

– Oh…. Hm…

La foule relâcha la pression et commença à papoter tranquillement. Les gens s’écrièrent ici et là et prirent ce lapse de temps comme une vraie pause syndicale. Il n’y avait pas besoin de moduler un rêve, donc chacun profitait de cet instant de répit. Seulement, le débit sonore atteignit un tel seuil que rapidement, mes humeurs tournèrent au vinaigre. Trop de bruit me déstabilisait vibratoirement.

– Vous pourriez baisser d’un ton s’il vous plait ? Demandai-je face à la cohue.

Personne n’entendit. Tout le monde était bien trop pris à bavarder et s’amuser avec son voisin.

– Baissez d’un ton, s’il vous plait ! Mes oreilles… c’est trop fort.

Le volume sonore continua d’accroitre.

– Dis leur de se taire s’te plait, ordonnai-je à la femme en lui donnant un léger coup de coude pour lui notifier ma présence, car elle aussi était partie en rigolade avec ceux qui l’entouraient. Dis leur de se taire, ou je vais les forcer à le faire.

– Euh ? euh oui, oui bien sûr… je… s’il vous plait ? S’exclama-t-elle en se tournant vers la foule.

La puissance dans sa voix se fondit dans la masse, personne ne l’entendit. Quant au bruit, lui, il augmenta d’un nouveau cran. On se croyait maintenant au milieu d’un festival bondé et archi bruyant, impensable pour moi tant je n’avais rien ici pour limiter le débit sonore et le stress qui allait de paire.

– Ça suffit, sifflai-je à la femme. J’ai demandé gentiment pourtant, et plusieurs fois, mais non… Et après on dit que je gueule. Qu’on ne vienne pas me dire que je suis mauvaise. Écarte-toi.

Elle recula un peu malgré elle. Je pris une grande inspiration, plongeais en moi pour récupérer un soupçon de force et relâchais les flux tout en gueulant comme pas possible.

– VOUS ALLEZ LA FERMER DEUX MINUTES, PUTAIN !!

L’élan de force eut l’effet d’un raz-de-marée. L’onde de choc scinda l’air et le champ électrique traversa tout le monde sans exception. Ils sursautèrent d’un coup net, et se retournèrent presque immédiatement.

– 2 putains de minutes, c’est tout ce que je vous demande pour réfléchir un peu ! Taisez-vous maintenant ! Pas possible ça, avec tout le boucan que vous faites, j’arrive même pas à me concentrer. Vous êtes là pour quoi ? Pour moi, non ? Alors fermez-la !!

Un silence s’abattit comme une chape de plombs. Tous se plièrent à sauf une jeune femme qui s’agitait toujours. Je la vis d’un sale œil.

– Tu te calmes, demandai-je fermement.

Toujours concentrée sur sa conversation que personne ne lui rendait vu que tous se taisaient, elle continuait malgré tout à raconter ses histoires, elle semblait ne pas prendre la situation au sérieux. C’était tant pis pour elle.

– Bon allez hop, vous me la dégagez.

– Mais Camille, s’étonnèrent ceux qui étaient à ses côtés, non mais elle va…

– Non-non allez, ça y est, c’est bon, elle a épuisé mon quota de patience. Vous m’ouvrez une porte dimensionnelle et vous me la dégagez d’ici. Je ne veux plus la voir.

– Mais-mais…

– J’veux pas l’savoir. J’ai prévenu, elle n’a pas voulu écouter, elle ne veut toujours pas comprendre, elle dégage. Allez-allez-allez, concluai-je d’un coup de bras décisif.
Les hommes hésitèrent, ennuyés pour la jeune femme qui commençait à peine à prendre conscience de son éjection imminente.

– Non ! Mais non… je… !

– C’est terminé, fis-je aux hommes qui la motivait à se taire pour ne pas que la situation s’envenime. Soit vous ouvrez la porte et l’accompagnez hors de ma vue, soit c’est moi qui en ouvre une et la balance au travers n’importe comment. Et vous viendrez pas vous plaindre après quand faudra aller la récupérer.

– B-bien bien…

Ils l’agrippèrent chacun par un bras, et un troisième vint en renfort. Il leva la main, une brèche s’ouvrit à deux mètres d’eux. La porte dimensionnelle se referma dès lors qu’ils mirent tous un pieds à l’intérieur. Sitôt partis, le silence qui reigna, m’apaisa.

– Ah bah quand même. Merci, soupirai-je agacée.

– Camille, dit la femme qui m’accompagnait depuis le début en me tirant à elle, et c’est quoi ton délire avec tes cheveux tout le temps attachés ?

– Euh ?

– Nan mais tu les attaches tout le temps ! A la limite une fois par semaine, et encore… !

Pourquoi changeait-elle de sujet ? Et pourquoi ils me soulaient tous avec la bouffe et mes cheveux ?

Mon air se renfrogna. Elle se glissa derrière moi, passa ses bras par-dessus mes épaules et me prit la tête dans ses mains. Elle posa délicatement ses doigts sur mes tempes et commença à masser. Elle le faisait si bien qu’en deux temps trois mouvements, ma nuque retomba dans le creux de son épaule, totalement relâchée. Sa tête se cala tendrement près de la mienne. Si douce envers moi… elle n’avait pas hésité une seule seconde à prendre les devants pour me soulager la pression. Elle avait mon énervement ressurgir et avait su devancer mes besoins.

– Qui es-tu ? Murmurai-je presque en transe sous ses gestes.

– Silmon, chuchota-t-elle dans le creux de l’oreille tout en continuant à masser.

– Hm… Silmon… oui… ça me dit quelque chose…
Je me redressai et pivotai pour me retrouver nez à nez avec elle.

– Je me rappelle de toi, repris-je pensive, tu étais là hier aussi… pourquoi fais-tu tout ça pour moi ?

– … parce que je t’aime, dit-elle en enrobant mon visage dans ses mains emplie d’un amour sincère.

– Comment peux-tu m’aimer, rétorquai-je troublée, Après tout ce j’ai fait, … I don’t deserve your love, I never did anything that deserved it. How can you even love me ?
Ses yeux luisirent. Elle se pendit à mes bras avec les larmes qui menaçaient de couler.

– Hn… Je suppose que je dois aimer ça, répondit-elle en reprenant mot pour mot ce que je disais souvent en parlant de mes guides, jugeant qu’ils devaient être complètement masos pour vouloir rester a mes côtés dans l’astral.

Son expression tout autant aimante qu’attristée me pinca le cœur. Non, elle n’aimait pas ça. Et pourtant, elle m’accompagnait envers et contre tout. Peut-être espérait-elle que je devienne meilleure et qu’au fil des années, ma violence accrue se canalise et s’apaise peu à peu.

En même temps, il était évident que sans encadrement sévère, il m’était impossible de gérer tout ce qui m’animait tant la pression me paraissait énorme. Mais puisque mes guides me montraient une autre voie possible, je pouvais apprendre à vivre autrement.
Certes, c’était loin d’être parfait et mes guides subissaient directement de lourds impacts constamment, mais changer de mode opératoire n’était pas chose aisé. Il fallait beaucoup de patience, et une volonté de fer, chose que visiblement, mes guides avaient indéniablement.

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