Les anciennes mémoires : se reconnecter à sa propre mort


Lorsque je repris conscience avec mon corps, je me trouvais enfouie sous la terre, des racines entremêlées dans mon crâne, le corps étant en état de décomposition avancée.
J’avais été enterrée sans sac ni rien, à même la terre, moi et tous les autres de ma communauté. La date, 1445. Cette tuerie retentit dans les tous les esprits de la contée comme étant Le Massacre Tzigane.
Qu’avions-nous fait ? Rien. Nous étions une communauté qui dérangeait de par notre différence. Dès que l’opportunité se présenta, ceux qui souhaitaient le pouvoir voulurent nous liquider.

Je revois des hommes à chevaux s’éloigner de ce qui avait servi de cimetière, les attitudes fières et victorieuses.
Nous avions tous été enterrés ici, au milieu de nul part, dans cet endroit entouré de murs sobres, et blancs. Moi, et tous les autres.

Visiblement, notre existence ne faisait pas parti des projets politiques de l’époque. Notre culture et notre histoire, notre même existence ne semblait être qu’une « tâche » à effacer. Nous nous habillions différemment, notre couleur de peau n’était pas blanche, nos rites et notre culture autre que la leur ne plaisaient pas. La différence ne plaisait pas.
Un peuple différent n’était pas contrôlable. Nous ne pensions pas qu’ils en viendraient à nous exterminer juste parce que nous étions différents. Ne pouvions-nous pas cohabiter ? Visiblement non. L’histoire se répétait inlassablement pour les mêmes dispositions. On tuait tout ceux qui dérangeait.

Ma mort avait dû être d’une telle brutalité qu’une fois mort, je n’ai pas retrouvée de suite le lien énergétique avec mon corps de chair. Il me fallut un certain temps. Et quand cela fut enfin le cas, il n’y avait plus de chair autour de mes os. Seul le poids et l’odeur de la terre rafraichie du sol, et les racines parcourants ce qu’il restait d’os de mâchoire.
Lorsque je me suis enfin relevée « en fantôme » au dessus de ce qui était ma tombe, il ne restait qu’un espace presque désertique. Un silence de mort et rien autour de moi. Que des os enterrés dans la terre, un massacre oublié, dont on avait effacé les traces dans l’histoire aussi simplement qu’avec des trous et une pelle.

Au final, combien de morts brutales avais-je vécues ?

Cette mémoire tsigane n’était pas plus brutale que les autres. Elle paraissait presque douce par rapport à une mort nettement plus récente dans laquelle j’avais été prise dans une explosion kamikaze à l’intérieur d’un centre commercial. Cela devait dater de l’une de mes deux dernières vies. Dans celle-ci, mon corps avait fini éparpillé en petits morceaux.
Une fois arrivée sur les lieux depuis l’astral, il me fut permis de revoir la scène. Ce fut mon ange gardien qui me ramena sur les lieux de l’attentat, tandis que nous tentions de transcender certaines de mes mémoires traumatisantes.

Je sentais tellement de membres éparpillés que je n’arrivais même pas à tous les identifier comme étant les miens. Ma signature énergétique était partout et nulle part. Elle s’étirait sur un tel périmètre que je n’en revenais pas.

– « Les morceaux sont bien à toi. Tu étais au mauvais endroit au moment… tu as été prise dans la déflagration. » m’avait alors dit mon gardien.
– Suis-je l’homme qui a porté la bombe ? Parce que vu le nombre de morceaux… cela ne me surprendrait même pas.
– « Non. Tu as explosé en lambeaux, ta mort fut particulièrement brutale pour ton corps, mais ce n’est pas de ton fait. La personne a fait explosé la bombe alors que tu passais juste à côté. Quand il est entré dans le centre, son objectif était de tuer le plus d’humains possible en mourant. Tu t’es retrouvé malencontreusement sur sa route. Nous n’avons pas pu t’arrêter. Tu avais décidé fermement d’aller faire des courses. »
– Je n’arrive même pas à recomposer mon corps tellement qu’il y a de morceaux…
– « C’est bien toi ici. Mais tu ne revivras pas à nouveau le moment de cette mort. Nous aimerions que tu puisses passer à autre chose. Je t’aide à traverser cette mémoire pour que tu puisses tourner une nouvelle page. »


Pourquoi revivre des anciennes mémoires ? Parce que notre Esprit, notre Conscience ou peu importe son nom, n’oublie rien. Il n’oublie pas et reste traumatisé par ses vies vécues.
Revoir ou revivre certains moments de nos vies passées nous aident à aller de l’avant.
– accepter d’être mort
– accepter la raison pour laquelle nous sommes morts
– comprendre pourquoi la mémoire nous retient, un sentiment, un évènement frappant, une émotion qui nous a accompagné au long de l’histoire et qui nous a forgé
– apprendre à se libérer du passé pour vivre autrement et pouvoir faire des choix différents

Notre passé ne nous enferme pas. Il nous aide à nous construire, mais une fois la mémoire transcendée, celle-ci disparait, totalement dissoute au coeur de nos énergies. La mémoire devient alors une leçon intégrée, un facteur d’enseignement intégré comme un grain de sable dans l’océan de notre propre existence.

Ce qu’on ne réalise pas, c’est que le plus dur n’est pas de s’en libérer, c’est de les garder en vue comme un tableau ouvert sur le passé, comme une cicatrice qui ne se referme jamais. On en finit à penser que cette cicatrice est normale, qu’elle est ce qui nous compose et devient notre identité. On refuse alors de s’en séparer. On pense qu’on est forts parce qu’on a l’énergie pour continuer d’entretenir ces mémoires, et que si on s’en déleste, nous oublierons quelque chose de précieux. On perdra notre histoire avec.

Transcender une ancienne mémoire ne signifie pas faire disparaitre notre histoire, c’est intégrer la raison de son existence en leçon expérimentale pour en tirer un enseignement. C’est accepter de comprendre nos choix, et décider d’aller de l’avant.
Est-ce simple ? Non. Mais garder le poids de ces mémoires ne l’est pas non plus. C’est simplement le choix de vouloir vivre autre chose.

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