Les relations amères entre Plutoniens et Terriens

Le Plutonien qui me faisait face, verrouilla les menottes autour de mes poignets. Un clic retentit sur chacune des bagues de fer lorsqu’elles se refermèrent.
– « Tu es en état d’arrestation. Tu es condamnée à mort. »

– Oh rien que ça. Et pourquoi ?

– « Tu as volé. Dans la boutique, tu as volé du pain. Le vol est considéré comme un crime. »

– Mais j’avais faim, j’avoue, j’ai piqué de la marchandise dans une boutique en passant devant. Je n’avais pas diné la veille sur Terre avant de me coucher, mon corps physique commençait a avoir la dalle ! En plus, j’étais en grosse course poursuite sur votre planète, j’avais besoin d’une source énergétique. C’était qu’un morceau de pain, c’est pas comme si c’était un crime, faut pas exagérer non plus ! C’était un fait exceptionnel, en général, je ne fais pas ça. C’était…disons un accident sur ma route où j’ai un peu dérapé. J’ai pas demandé l’autorisation, je me suis servie.

« Sur Pluton, il n’y a pas de places au crime, la tolérance est zéro. Tout acte en dehors de la loi mène à la peine de mort. Du plus petit délit au plus grand crime, la sentence est la même. La Justice ne laisse rien passer ici. C’est pareil pour tout le monde. »

– La tolérance est zéro, tu dis ? »

– « Oui. Tu seras amenée en procès devant le peuple et condamnée sur la place publique. Tu seras exécutée devant tout le monde. »

– Ah c’est sympa chez vous la justice… Ça fait grave envie ! Ok et du coup, qu’est-ce qu’on fait pour les 2 Plutoniens qui ont tenté de me violer quand je suis arrivée sur Pluton ?

Ses yeux s’écarquillèrent d’effroi.
-« Qu’est-ce que tu dis ? Qu’est-ce que… ?! »

– Je dis, votre tolérance est zéro, donc, cela signifie que vous devez aussi condamner à mort vos 2 Plutoniens qui m’ont attaquée alors que je suis arrivée en visite chez mon Âme tout à l’heure. Je venais de passer les portes dimensionnelles et deux membres de ton peuple m’ont sautée dessus. Je n’avais rien fait de mal. J’étais chez moi, dans ma maison, dans la propriété de mon âme, je lui rendais visite. Ils m’ont attaquée violemment. Ils ont essayé de m’écarter les cuisses et pensaient à me violer salement. Je les ai repoussés tant bien que mal, sans dégâts. Ils ont fui la scène en courant et au final, aucun des partis n’a été blessé. J’ai considéré l’évènement comme un simple accident et je n’ai pas cherché à les retrouver. J’ai laissé couler et suis passée à autre chose. Mais vous, là, vous voulez m’exécuter pour un bout de pain volé ? Donc, si vous comptez appliquer votre Justice, vous allez devoir aussi exécuter mes 2 agresseurs, histoire d’être logique et cohérent jusqu’au bout. Sur Terre, on a beau avoir des défauts, on essaie au moins d’avoir une justice adapté au délit…

Il se pinça les lèvres de gène et agrippa nerveusement les chaines autour de mes poignets. Il ne savait pas comment répondre.

– Deux plutoniens et un humain exécutés, ça fait cher payé pour un ridicule petit bout de pain, tu ne crois pas ? Si moi je peux considérer mon altercation avec ces deux plutoniens comme un malheureux incident, vous pouvez accepter aussi que mon vol soit un fait malencontreux et exceptionnel, non ?

– « Les Terriens ne sont pas les bienvenus ici ! Tout ça, c’est de ta faute… Si tu n’étais pas venue, nous n’aurions pas à tuer deux des nôtres. »

– Mon âme est plutonienne, que veux-tu que j’y fasse ?! Et je suis incarnée sur Terre en même temps. Je suis donc plutonienne et humaine à la fois. J’ai autant les droits d’être ici que toi. Je visite cette planète quand je veux et si je veux, et y’a rien que tu puisses faire pour changer ça. Autant vous y faire à l’idée de voir souvent ma tronche ici.

– « On veut pas d’humains ici ! Vous n’êtes pas les bienvenus ! »

– Désolée, mais Pluton, c’est chez moi aussi. Il va falloir vous faire à l’idée d’avoir une humaine sur le territoire parce que je n’irai nulle part. Qu’est-ce que vous avez contre les humains pour les rejeter à ce point ? Que s’est-il passé ?

Le chef prit un air torturé.
– « Un jour, un terrien est venu, il a tué 2 plutoniens. Puis il est reparti. Depuis, nous avons fermé les accès. Les humains ne sont pas les bienvenus. Nous ne voulons pas les voir ici. Ils sont un danger pour notre peuple. On refuse leur entrée sur le territoire. »

– Ok. Et tu ne te dis pas que peut-être-« PEUT ÊTRE », la mort de ces deux plutoniens était un accident ? Que peut-être, ce n’était pas ce que souhaitait l’humain, mais que tout a dérapé malencontreusement ?

– « Deux plutoniens sont morts ! »

– Oui j’entends, mais parfois, la situation nous échappe pour raison X. Un accident peut devenir tragique. Moi, je n’en veux pas à tout ton peuple parce que 2 de tes compères ont tenté de me violer. Il ne faut pas tout mélanger. Je ne fais pas payer à ton peuple, le délire et la connerie de 2 pauvres plutoniens égarés et inconscients.

« Mais les humains… »

– Les humains sont comme vous. Oui certains sont mauvais et veulent du mal, mais c’est pas du tout le cas de tout le monde ! On a peur, parfois on est stupide, ou on attaque, on fait des erreurs aussi, et parfois, ça finit très mal. Qu’est-ce qui se serait passé si je ne m’étais pas défendu tout à l’heure ?… Et qu’est-ce qui se serait passé si j’avais risposté avec de la magie ? Je les aurais tués. Pas parce que je le souhaitais au fond, mais juste parce que je me serais défendue contre une agression. Pourtant vous êtes un peuple soit-disant avec une Justice qui empêche le crime… Vois, un accident peut se passer des deux côtés, sans forcément vouloir en arriver là.

Il interpela un des ses gardes qui avait lui aussi assisté à la capture. Il était tout aussi sonné par mes dires que son chef.
– « Prépare une équipe et pars à la recherche de ces deux plutoniens. Ils sont en état d’arrestations pour agression envers l’humaine. »

Le chef me regarda à nouveau, puis tira les chaines pour m’inviter à prendre la même direction que lui.
« Tu passeras en procès » grommela-t-il, « c’est la Loi. La Loi sur Pluton, c’est ça, et en tant qu’humaine, tu t’y plieras. »

Il m’entendit soupirer.
– Ça ne sert à rien, tu ne pourras pas m’exécuter tu sais. Tu vas me jeter en pâture, mais les choses ne se passeront pas comme tu penses.

Il ne rétorqua rien. Le transport se déroula sans violence. Les gardes plutoniens qui m’entouraient ne pouvaient s’empêcher de ressentir de l’amertume, un certain ressentiment contre les humains, mais ils éprouvaient surtout une tristesse contre les deux plutoniens qui n’avaient pas su faire preuve de respect envers les règles de leur propre territoire. Ils pensaient qu’avec leur système de Justice, la paix et l’équilibre étaient devenues harmonieuses, qu’il faisait bon vivre sur Pluton. Les crimes n’existaient plus ou presque, pensaient-ils, le peuple était fermement maintenu grâce au système. L’accident avec les deux plutoniens reflétait une faille qui les désolait.

Moi, je pensais surtout que la notion de Paix était très relative. En une heure sur Pluton, j’avais eu le droit à une attaque et tentative de viol, mon âme elle, se faisait attaquer par un groupe de mercenaires et j’avais eu 2 courses poursuites. Alors bon… une planète où le crime est réduit… Ou alors, disons que j’attirais vraiment les problèmes partout… mais ça, c’était une autre histoire…

La place publique était une arène à ciel ouvert, un énorme et magnifique demi Colisée, sans armature, sans architecture, juste des bancs sur de multiples rangs accessibles à la population en libre service.

Chacun s’installait au rang qu’il souhaitait, en bas, ou plus dans les hauteurs. Le porte parole agrémentait la procédure depuis un petit podium de parole doté d’un microphone.
Voir un terrien se faire exécuter était l’attraction du siècle, le genre d’évènements auquel personne ne s’attendait un jour pouvoir assister. Autant dire que tout était bondé. Nombreux n’en croyaient tout simplement pas leurs yeux. Il y avait un bruit de fond exceptionnel, tout le monde parlait en même temps, de la surprise, de l’incompréhension, de la stupeur, de l’effroi, de la joie… Il y avait toute sorte d’émotions mélangées. Les pour-humains, les contre-humains, les je-ne-sais-pas-j’en-ai-jamais-croisés…

Moi tout en bas, encadré par des gardes au côté du porte parole, j’attendais sereinement d’être placé sur le »bûcher », ce fameux peloton d’exécution. M’échapper maintenant n’était pas utile. Pourquoi passer à côté d’une opportunité de m’adresser à un peuple aussi à l’écoute avec tous les yeux rivés sur moi ? C’était le moment pour tenter de faire ouvrir les yeux aux plutoniens.

On m’invita à faire un pas en avant, ce que je fis bien volontiers. Un flux énergétique m’embarqua dans les airs et me fit léviter à une cinquantaine de mètres de haut.
Tous les regards se braquèrent dans ma direction.

La prochaine étape aurait été normalement de subir la pendaison énergétique. Cela consistait à désactiver le flux qui me maintenait en vol stationnaire tandis qu’une pression énergétique me maintenait uniquement par la nuque. Mon corps chutait dans le vide, mes cervicales rompaient sous la pression soudaine.
En général après, les plutoniens applaudissaient, sauf que là, rien ne déroula comme prévu.

Depuis les airs et encore menottés, je m’adressais directement à la foule.

– Je ne serais pas exécutée aujourd’hui. Je ne mourrai pas ici. Votre système de Justice est inadapté et disproportionné, il va falloir que vous acceptiez de changer. On ne peut pas punir aussi durement pour des délits aussi futiles. Ce n’est pas avec une tolérance zéro et des exécutions que vous allez trouver la paix. Nous avons tous des imperfections. Nous faisons tous des erreurs. Regardez-vous Plutoniens, vouloir tuer un humain pour un bout de pain. Et deux de vos membres qui m’attaquent alors que je n’avais rien fait de mal, vous n’êtes pas mieux que nous finalement. En quoi cette soi-disant Justice nous aide-t-elle à être en Paix ?

Par un soupçon de magie, les menottes s’ouvrirent et disparurent par enchantement. J’ouvris mes bras en grand et montai bien plus haut dans les airs. Un lourd silence s’abattit sur la foule. Personne ne pensait que je m’envolerai. Je repris la parole, mon canal de communication bien ouvert en m’assurant que mon coeur puisse atteindre toutes les personnes présentes.

– Les humains ne sont pas des mauvaises personnes. Il faut qu’on apprenne à se parler, et à communiquer, mais en fermant l’accès à votre planète, vous ne faites que renforcez l’isolationnisme. Au sein de notre système, ce n’est plus possible d’avoir une planète qui rejette la présence humaine. Cela ne ferait que nourrir les conflits entre nos peuples. Vous allez devoir changer et revoir votre attitude face au monde qui vous entoure.
Voyez, je suis humaine aussi. Je suis plutonienne et humaine. Je reviendrai souvent ici et d’autres humains voudront aussi venir. Parce qu’ils seront curieux, parce qu’ils apprennent à explorer le monde qui les entourent. Ils veulent vous comprendre et apprendre de vous. Ils ne représentent pas une menace. Ils ne cherchent pas à vous exterminer. Vous n’allez pas pouvoir continuer de rejeter les humains qui viennent frapper à votre porte sous prétexte que vous n’avez pas pardonné une tragédie passée. Votre rancoeur ne vous aidera pas. Je comprends votre peur et votre amertume, et je suis navrée de la perte que vous avez subie. Mais vous avez tort de punir tout un peuple pour les erreurs d’une seule personne. Vous pensez ainsi vous protéger de nous, mais vous ne ferez qu’accroitre les problèmes.
Les humains voyageront partout. Ils rétabliront le contact avec tous les Peuples des Etoiles, que vous le souhaitiez ou non, c’est ainsi. Vous n’échapperez pas à la réintégration des liens et des partages entre les peuples.
Acceptons simplement que nous tous avons soufferts de nos maladresses et de nos ignorances, et sachons pardonner. Je ne juge pas votre peuple pour les erreurs commises, ne jugez pas mon peuple pour ses erreurs. Ce sont des accidents isolés. Nous devons être tolérants l’un envers l’autre si vous voulons tous cohabiter ensemble.

Un rayon de lumière tomba des cieux et m’enveloppa d’une chaleur douce et aimante. Je me préparai au décollage de fusée et émis les dernières paroles.

– Plutoniens, à partir d’aujourd’hui, votre enfermement s’arrête là, ça a assez duré, ça suffit. La communication pluto-terrienne est rétablie. L’accès à cette planète redevient accessible aux humains. Vous les prendrez en charge et assurerez leur sécurité et leur apprentissage. Ouvrez votre coeur, et trouvez en vous la force de les accompagner dignement. Vous verrez que tout se passera bien. Il n’y aura pas d’incidents avec vous à leurs côtés pour les guider.

D’un coup, le tunnel activa l’aspiration, mon corps décolla pour l’espace à vitesse grand V. Le rayon de lumière quitta Pluton au rythme de mes énergies.

Chaque planète avait ses problèmes, sa justice, ses relations avec le reste du monde… Si sur Terre on avait des problèmes, ailleurs aussi…
On n’oubliait parfois qu’en voyageant dans l’espace, on était aussi les représentants de la race humaine. Quand on croisait un peuple, c’était important de s’en rappeler. Parce que nos attitudes, nos actes, même ailleurs, peuvent avoir des conséquences à grandes, voire très grandes échelles.
Sur Terre, c’était pareil. Notre attitude dans un autre pays véhiculait un message, il pouvait aider, guérir ou renforcer la séparation des peuples.
Dans les Etoiles, il y avait tellement de liens, de transports de marchandises, de disputes et d’enjeux politiques et territoriales, qu’une âme humaine pouvait faire la différence.

Les Etoiles n’étaient pas contre les humains, bien au contraire, mais le respect et la communication allaient dans les deux sens. Les terriens n’étaient en rien supérieures aux autres peuples stellaires, tout comme les peuples n’étaient pas supérieurs à nous. Nous étions tous différents, et il fallait qu’on apprenne à tous cohabiter…

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