Le Grand Prêtre Messager

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Ce matin, je décidai de refermer les yeux. Avec un peu de chance, je pouvais même faire une petite sortie astrale si je la jouais fine.

Le poids de mon corps s’alourdit au bout d’un quart d’heure, j’étais claquée, je n’aurai donc pas de mal à me rendormir. Il fallait que je sois vraiment à l’affût sur les passages dimensionnelles.

Ma conscience s’éleva d’un coup et mon corps tout entier sortit de mon corps et partit en lévitation vers le haut. Je tournis la tête pour faire comme les autres, ce qui disent qu’on voit son propre corps dans son lit, et ce fut le cas, sauf que j’étais déjà dans une dimension particulière, donc je m’élevais d’un lit et d’un corps sous les draps qui ne ressemblaient pas aux miens dans la réalité. Malgré tout, je souriais. Je trouvais ça rigolo comme petite vérification mais ça ne changeait rien pour moi. Il était déjà évident que j’étais en sortie de corps.

Mon corps n’arrivant pas à se poser quelque part, je ne faisais que voler vers le haut, voler et encore voler. Je trouvais ça bizarre. Mon mental se réactiva et je perdis le lien. Je pouvais me sentir retourner au lit, chose que je ne voulais surtout pas.

J’optai donc pour la brasse. Étant dans une dimension de transition devenue noire car en route pour me réveiller dans mon lit, je me mis à nager la brasse et tentai d’avancer malgré vents et marées. Ma technique de backup d’urgence fonctionna. Au bout d’une minute, je récupérerai la vision.

J’étais en train d’atterrir de l’autre côté de l’atlantique, sur une plage immense blindée de gens. A peine le sable senti sous mes pieds, j’apposai une main au sol.

– Ma conscience est trop maigre, faut que je m’accroche ici, faut que je m’accroche…

Je prenais des grosses respirations en tentant de me calmer un peu et m’enfoncer dans le sol. Aussitôt fait, je me relevai.

– Bon, j’appelle l’être sans forme, celui qui fait partie de mon équipe. Je veux le voir ! Aidez-moi à aller jusqu’à lui ! Juste lui, personne d’autre !

L’exploration de la plage commença. J’avais l’impression d’avoir atterri sur Miami Beach en plein été tellement que c’était immense et blindé.

– Putain, je vais galérer pour le retrouver…. ! Faut qu’on m’aide ! S’il vous plait ! Aidez-moi ! … Quelqu’un… ?

Je regardais partout et scrutai le truc, le hic, n’importe quoi qui pourrait attirer mon corps. Le truc avec une chasse à l’entité, c’est qu’il ne faut pas se fier à la tête, mais au corps. Il faut alors s’écouter tout en se laissant aller en suivant les indices parfois tellement subtiles qu’ils paraissent inexistants. Et pourtant.

Un jeune enfant par encore adolescent vint à mon secours.

– « Tu cherches quelqu’un ? »

– Oui, celui qui fait partie de mon équipe, et qui n’a pas de corps. Mais je galère là… Je ne sais pas comment le trouver dans toute cette masse…

– « Hum… Attends, tu permets ? »

Il posa les mains sur mon dos et retraça un fil énergétique sur un méridien.

– « On va l’appeler par ton canal… Ah ! c’est le « Ken Ku Ren » que tu cherches. »

– Ken ku ren ? C’est quoi ça ? Je connais pas ce mot chinois… Purée, la vache, ça peut être un pompier, un sauveteur, un flic… n’importe quoi… Ici, il y trop de possibilités (note : je ne connais que « ren » qui désigne une personne, donc par déduction, le terme d’avant était un titre ou un statut) rah la vache, je vais jamais le trouver…

– « Attends, je vais activer ton canal linguistique » dit-il en cherchant un autre fil à travers mon dos.

– Merci.

– « Alors ? Et là, ça donne quoi ? »

– Ca marche pas ! Je sais toujours pas ce que c’est ! Bon, laisse tomber, je vais avancer et essayer de le trouver comme ça, en le retraçant. Merci !… ken ku ren, qu’est-ce c’est ça ?… C’est qui ?? T’es où !!? Tu es quoi ?… Ti-ti-ti… Hum…

Je passais rapidement devant les groupes de gens, des vendeurs à la sauvette, des postes de police, bref, je tentais de suivre mes envies et impulsions de l’instant. Mais il y avait une telle masse de gens que j’avais l’impression que mes énergies étouffaient. Je devais donc faire attention à rester ancrer et ne pas trop stresser par la foule.

Comme cette approche ne me convenait pas et semblait ne rien donner, j’optai pour un nouvel appel.

-Ken Ku ren, guide moi à toi s’il te plait, montre moi où tu es. Mon corps… n’importe quoi ! Montrez-moi le chemin !

Surprise de sentir un bout de ma jambe bouger tout seul, j’hochai la tête. Mon pied bougeait tout seul. Ma cheville tourna à 45° et mon pied semblait vouloir se diriger par là-bas.

– Oh !!! Super ! m’écriai-je contente d’avoir été entendue. J’ai compris ! J’avance par là ! Je suis la piste de mes pieds !

Je marchais vite. Le décor se modula lui aussi rapidement. Dès que j’hésitais, il me suffisait de relancer l’appel pour que mon guide ne fasse son tour magique.

Au détour d’un carrefour de petites rues, je tombais sur un clochard. Pourquoi pas. Allons-y, parlons-lui. J’entamais la conversation, mais tout semblait vaseux et bizarre. Quelque chose ne correspondait pas, mais je ne savais pas quoi. Je refis appel à mes pieds qui me confirmaient que ma route n’était pas terminée. Ah, je me disais bien aussi, notre conversation était trop chelou en plus de n’avoir aucun sens…

Le chemin me guida vers l’intérieur de bâtiment assez moderne, plutôt contemporain et classe. En arrivant sur un espace intérieur central, je fus perdue à nouveau et tout commença à m’énerver. Ca devenait long et de plus en plus difficile. Car depuis le début de la traque, j’avais déjà perdu le fil plusieurs fois à vrai dire, j’avais déjà failli 4 fois retourner au lit. Ma conscience devenait de plus en plus maigre au fur et à mesure de mon avancée. Les décors changeant me demandaient de plus en plus d’efforts pour m’y accrocher et ne pas rebasculer dans ma chambre. Cette traque m’était pénible.

En faisant un énième appel, je devais monter des escaliers. C’est comme les ascenseurs. Monter des escaliers, revient à monter de dimensions. Cela signifie que la dimension à l’arrivée sera encore plus pénible à maintenir.

– Rah, les escaliers, pas les escaliers, merde, disais-je en parcourant le colimaçon qui bien vite devint noir.

Seule ma voix résonnait dans l’escalier comme je pestais à voix haute.

-nan mais j’ai bien compris, hein, tu es dans des dimensions plus hautes, toi… Ca m’oblige à monter pour te retrouver… Oui, bah oui, je vois bien où tu veux en venir avec tes marches… t’es dans des sphères plus hautes… faut aller te chercher quoi…

La sortie des escaliers fut telle que je l’avais prédit. Compliquée et à fleur de peau. Le nouveau décor avait du mal à se caler, tout se brouillait et ma conscience ne voulait que repartir dans son lit.

– Je demande à réajuster mon taux vibratoire maintenant ! Tout de suite, vite !…. Vite… Je dois… Nhhh…..

Je m’effondrai au sol. Je partais du principe que si je suis près du sol, mes énergies seront obligées de suivre un minimum. Plus on était proche du sol et plus on était proche de la terre d’ancrage de la dimension. Enfin, c’était ma théorie de l’instant.

– Je dois m’accrocher ici… Nhh….. dis-je en caressant le sol. Allez, je descends mes énergies ici, reste ici Camille…. Accroche-toi…. Ancre-toi ici…

Ma vision reprit du poil de la bête, je pus me relever après avoir pris le temps de poser mon souffle et reprendre de l’air posément. Cela dit, je devais faire vraiment attention à mes émotions et à mon mental. Même si je m’étais ajustée, tout restait très maigre et très fragile. Disons que j’avais maintenant une petite liberté d’agissement. Ma conscience se cala assez bien et m’offrait une aisance plutôt confortable. Je pouvais respirer sans être dans l’entre-deux au moins, c’était déjà ça.

En suivant le couloir arrondi qui menait à divers appartements, l’un d’eux avait sa porte d’ouvert. En faisant un état des lieux général sur ce qui m’entourait pour savoir où aller et percevoir les ressentis de mon corps, un homme en sortit.

– « Ah Camille, te voilà ! Viens, rentre, sois la bienvenue, tu tombes bien. Ces personnes sont venus pour t’interviewer. Ils aimeraient te poser des questions. »

Sur la porte, était écrit que c’était un bureau de journalisme. Plutôt curieux, mais pourquoi pas. C’était les couvertures astrales, alors je ne m’arrêtais pas sur ce détail. L’homme me fit entrer dans ce qui paraissait être son bureau. Deux autres personnes étaient avec lui et me firent des grands yeux surexcités en me voyant. Il y avait un homme et une femme avec en mains, un bloc note et un stylo. La femme entama la conversation, mais je ne pris pas la peine de l’écouter. Je scrutais chaque détail de l’appartement comme un bébé découvrait un nouveau monde. La journaliste voulut s’avancer vers moi et commença à hausser la voix avec ce que je considérai être des piailleries intempestives qui avaient l’art de gêner ma conscience. Je tentais de prêter attention à la décoration plutôt qu’à elle qui ne m’intéressait absolument pas.

– Hum… je ne suis pas venue pour ça, répondis-je amèrement à la femme tout en scrutant la bibliothèque de mon guide qui arborait des magnifiques cartes dorées tirées de jeux de cartes simples et basiques, que l’on trouvait dans n’importe quelle boutique.

La femme renchaina sans même prendre en considération ce que je lui disais. Ce qui commençait à faire vaciller mes humeurs.  Mon guide l’interpella doucement.

– « Attendez. Laissez-la. C’est son mode de fonctionnement. Elle regarde et découvre ce qui l’entoure, donnez-lui un peu de temps. » 

La voix de femme dans le fond se tut une seconde puis reprit avec cette fois, un ton plus convenable, qui tapait moins dans mon mental.

– On a des comptes à régler, lançai en coup d’oeil furtif à mon guide sans même prendre en considération la présence des deux autres étrangers à nos affaires. Je viens pour toi, et uniquement pour toi.

Je me retournai sur lui qui était adossé élégamment sur un de ses meubles à côté de son bureau. La femme voulut prendre la parole et recommençait à me pailler dans les oreilles.

– Vous. Toi. Woua… tu parles trop, beaucoup trop. Tu sais pas t’arrêter, hein…  Vous devriez parler moins et vous poser en vous…

Le mec à côté intervint en me posant une question, mais leur voix se mixa ensemble pour mon plus grand regret. Mes yeux roulèrent au ciel. C’en était fini pour eux. Je ne voulais plus les voir. Putain, mais fous-les dehors, ceux-là, que je mourrais d’envie d’exiger de mon guide.

Pour moi, ces deux personnes se mettaient en travers de ma route, entre moi, mon guide et nos affaires et je n’aimais pas ça. C’était des perturbateurs,  des menaces à mon maintien de conscience dans cette dimension.

– Pourquoi tu crois que je me fais chier à venir ?  C’est pour toi, que je viens. Pour toi et personne d’autres. Nan mais tu te rends compte ! Je me fais chier à être lucide, je me démerde pour vous retrouver. je galère grave, tu sais. Là, 5 fois j’ai failli décrocher… Nan mais attends, j’ai lutté pour parvenir jusqu’à toi.  Et là, je suis enfin lucide en face de toi et tu crois que j’ai envie de faire une interview à la noix ?  On a des choses à voir ensemble et je viens pour ça. Le reste je m’en fous.

Je commençai à avoir le sang qui bouillonnait d’agacement, et de frustration. J’avais mis au moins une demi heure pour arriver à lui, alors j’étais assez à cran. Je commençai à faire les 100 pas dans les 30 mètres carrés de bureau. D’un coup de tête négatif,  mon guide accompagna ses convives sur le pas de la porte.

– « Il vaut mieux nous laisser. une autre fois, peut-être. » lâcha-t-il pendant que je fronçai les sourcils à l’autre bout de la pièce en pensant à nos sujets en sus.

Ma pression retomba lorsque je vis qu’on était enfin tous les deux. Il retourna vers son bureau.

– « En effet, on a des comptes à régler. Le couteau et les coups de poings ? »

– Ah ! Euh le couteau ch’sais pas ! Mais le coup des coups de poings, c’était toi ?! m’écriai-je en me rappelant la méga rafle de coups* que j’avais donné à un de mes guides il y a peu (voir article correspondant ici*). Nan mais c’était toi ?!… Quelle idée aussi. J’avais demandé avant de te tomber dessus, fis-je en marmonnant, j’avais posé la question mais c’est toi qui n’a pas voulu me répondre… J’avais prévenu pourtant…

Il me regarda sans sourciller.

– Bon… Je t’ai blessé c’est ça ?… En t’attaquant, ça a impacté tes énergies ?

– « Hu-hum » fit-il en signe d’assentiment.

– Je suis désolée. Mais pourquoi tu ne m’as pas répondu quand je t’ai demandé pourquoi tu avais pris son corps ?…

Je le vis commencer à s’agiter, à déplacer des objets et faire un peu de place dans la pièce.

– Bon et puis, tu es quoi toi ? C’est quoi ton essence ?

– « Comment ça ? Tu parles de mes énergies ?… Hum… Lumineuse, au moins tu peux voir que ce n’est pas de l’Ombre, ça c’est sûr. »

– Oui, bon bah ça, j’avais compris que t’étais issu de la Lumière et pas de l’Ombre, mais j’veux dire… tu es quoi exactement ?

« Je suis au plus haut niveau de la hiérarchie. Je suis le Grand Prêtre Messager. Le Grand Messager, en somme. »

Ah, ça explique le « ken ku ren »… et le fait que le fait qu’il ne pouvait pas prendre de forme au niveau de la « photo de groupe »…

– Tu sais, je crois que vous ne réalisez pas, vous aussi, la chance que vous avez, rétorquai-je en le pointant du doigt. Vous pouvez me voir et parler en direct. En face à face. Vous pouvez me dire les choses, tout ce que vous voulez. Vous vous rendez pas compte, mais c’est aussi une opportunité pour vous de retransmettre tout ce dont vous avez envie mais au lieu de ça, vous me dites jamais rien. Je dois galérer pour obtenir les informations alors qu’il suffit pour vous juste de simplement venir me parler. Ch’sais pas moi, tu es messager ? Passe le message aux autres. Qu’ils sachent.

Il restait attentif mais ne choisit de rien répondre.

 

Il se délesta de sa couche de peau, comme on retirerait un costume et laissa apparaitre un corps légèrement bleutée, à la peau lisse. Un corps ressemblant à une peau stellaire, extraterrestre. Alors qu’il préparait une couche pour venir s’y ressourcer, je m’assis en plein dessus, en travers et à l’arrache.Pas pour l’embêter, mais je ne sais pas… en l’espace d’un battement cils, je m’étais retrouvée assise à parler posément.

Il fit apparaitre des couvertures sous mon corps comme s’il mettait en place un petit sac de couchage confortable pour lui.Il prit soin d’y placer une couche protectrice, un peu comme du carton avant d’y faire apparaitre une couverture dessus qui passait sous mes jambes et faisait bomber mes genoux.

De chaque côté de la tête, il y déposa un tas de pierres, bleues et quelques rouges ici et là. D’un côté, les pierres formaient un cercle parfait, et de l’autre, c’était un tas en vrac.

Il vit se glisser sous les couvertures comme si je ne le dérangeais pas. Du coup, je ne pris pas la peine de bouger. Son corps se faufila sous mes jambes et je restais à lui parler comme si lui et moi étions deux copines installées dans des positions familières en soirée pyjama.

Lui s’installa raide comme un piquet allongé dans son duvet. Alors que mes jambes passaient par dessus son bassin, je me surprenais à trouver des similitudes entre nous. Je me couchais exactement pareil. Raide comme un piquet. Comme lui. J’aimais cette droiteur une fois sur le matelas. jambes et bras bien tendus, dos bien allongé, tête dans l’alignement. Comme lui à cet instant. Je me demandais si je tenais cette habitude de lui, de ses énergies à le cotoyer dans l’astral, aussi inconsciemment fussent-elles.

Il ferma les yeux mais prenait toujours la peine de m’écouter sans chercher à m’éjecter. Il devait avoir besoin de se ressourcer.

Est-il en manque d’énergie ? A cause de ma présence ou de mes énergies égotiques ?… Et dire que c’est lui que j’ai lynché de coups sous la colère l’autre fois… *soupire*

– Hum… excuse-moi de t’avoir blessé.

Il me regarda sans un mot.

– Vraiment, je suis désolée… je ne sais pas quoi faire de plus, mais vraiment, je ne voulais pas te blesser… désolée de t’avoir blessé.

Il referma les yeux.

– Au fait, dis…  si tu fais partie de mon équipe…

– « Hum », fit-il en rouvrant mollement une paupière.

– … ?… Euh… Tu fais bien partie de mon équipe, non ?

Choqué par ma question remplie de doutes injustifiés sortis de nulle part, il rouvrit les yeux au quart de tour, limite offusqué.

– « Heu ?! pourquoi tu me reposes la question ? Bien sûr que j’en fais partie ! C’est bien moi ça », fit-il en m’envoyant une image de la forme sans corps.

– Bon alors, tu sais peut-être de qui il s’agit, hier on m’a parlé d’un mec avec qui j’aurai des liens au delà de la dualité ch’sais pas quoi…

– « les énergies passent toutes au-delà de la dualité de toutes manières. »

– Oui, mais d’après ce qu’il m’a dit,enchainai-je en lui envoyant par télépathie le moment vécu avec mon autre guide, il me disait qu’ il était le frère de machin-chose, et qu’avec lui j’avais pu atteindre une relation saine depuis plus d’une centaine d’années… Enfin, j’ai rien compris… Est-ce que tu…

En posant les yeux à nouveau sur son visage qui me donnait l’impression de tomber dans le sommeil, je revins dans mon lit, ma conscience ayant perdu le fil sans crier gare. Ou alors, c’était lui qui m’a fait rebasculer parce que l’heure était venu pour lui de se ressourcer, et moi, de repartir dans mon monde… Qui sait, on ne le saura jamais vraiment.

 

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